Hommages, Souvenirs & Réactions

Par l'Employé

    Au lancement du site je reçus pas mal de courriels de gens tristes d'apprendre que Sternberg n'était plus, et qui laissérent ce que je nommais ces bois flottés. Des témoignages, des réactions, d'inconnus, comme de personnes qui avaient cotoyées l'auteur, des étudiants préparant des théses, mais aussi des auteurs désirant adapter ou inclure les écrits de Sternbergdas leurs propres oeuvres, pièces de théatre, spectacles, marionettes, écrits. Des éditeurs aussi dont quelques étrangers voulant ré-éditer Sternberg, ce qui est toujours bon signe.


Voici quelques-uns de ces bois.

"Tres touchée par cette lecture, j' ai recherché Jacques Sterberg sur internet.Pour en savoir plus , je ne le connaissais pas. Puis j'ai versé (pardon pour l'impudeur) des larmes en apprenant sa mort.Quelque part j'esperais encore pouvoir le trouver. Car ne s'agissait-il pas d'un appel au secours? Bien sur je n'aurais rien pu faire , seulement remercier pour écrire avec autant de sincérité et de clairvoyance , et dire que sa sensibilité m'est proche;D'ailleurs si j'avais pu écrire ces mémoires j'en aurais été fière. J'aurais juste renversé le titre : "Comment réussir tout ce que 'on rate " et non pas ...comment rater tout ce que l'on réussit".   J'espère trouver d'autres de ses écrits, car malgré le pessimisme extrème et bien justifié il y a dedans de quoi aussi tonifier , tout comme la bonne brise marine. Ce livre là ,les mémoires, trainaient ans ma bibliothèque depuis plus de 20 ans...J'ai honte. Mais quand je l'ai acheté j'etais encore plus paumée que fauchée, ce qui n'est pas étonnant.Je l'ai rapporté de Paris et lu seulement ces jours derniers. C'est sur que si l'on ne vit pas une grande blessure , au fond peut-etre , celle de la différence, celle de ne pas suivre une certaine mécanique, et de ne pas appartenir à un "troupeau certain", celui des hommes et des femmes déprivés de leur liberté ( liberté parce-que l'on n' a pas pu SORTIR des autres,et se chercher soi-meme) plus ou moins consciemment, on ne peut que rester insensible et réfractaire à ce que Jacques Sternberg exprime. Luxe supreme que de pouvoir exister dans l'ombre.Bien sur on espere ne pas mourir de faim." Laurence
"Jacques Sternberg, l¹étoile de la montagne de ce plat pays qui était le sien, je l¹avais découvert vers la fin des années 50, cela se passait au marbre de « Arts-spectacles » un hebdo culturel comme on n¹en fait plus. J¹y faisais fonction de correcteur-réviseur et lui de chroniqueur en charge des dessins d¹humour. André Parinaud, que rien n¹arrêtait sinon les soucis financiers, l¹avait brusquement promu secrétaire de rédaction. C¹est ainsi que l¹on vit débarquer une manière de Charlot journaliste, sautillant d¹un marbre à l¹autre, coupant un article trop long directement sur les morasses avec une paire de ciseaux au grand étonnement des typos qu¹il eut tôt fait de séduire à la fois par son incompétence et par son humour virevoltant.

Je connaissais surtout de lui ce « Petit Silence illustré » qu¹il imprimait lui-même sur ronéo, je ne sais plus qui dessinait les illustrations à même les stencils, ce qui n¹était pas un mince exploit. Tirage : une vingtaine d¹exemplaires. Ces ancêtres des fanzines font, ou devraient, faire la fortune des collectionneurs. Bien sûr, je n¹en ai conservé aucun exemplaire. Sternberg lui-même n¹en possédait plus la collection complète.

Aussitôt le courant est passé. Ce n¹était en fait pas très longtemps après l¹holocauste et notre à façon commune de réagir a été de jouer les goys
honteux, de nous proclamer juifs alors que nous ne l¹étions ni l¹un ni l¹autre d¹après la loi mosaïque, nos mères n¹étant pas juives. Je ne sais plus s¹il avait déjà publié ce petit miracle de l¹angoisse prémonitoire :« La sortie est au fond de l¹espace ». Laissons aux spécialistes le soin de disséquer une ¦uvre riche de quarante volumes à nulle autre comparable et laissons au trou noir de l¹avenir le soin de dire quelle est sa place dans le panorama de la création littéraire de la seconde moitié du XXe siècle.

J¹ai envie de parler de mon ami Sternberg, ce ludion sur ressort, roulant solex, et navigant sur dériveur sans jamais s¹éloigner de plus d¹un mile de
la côte.

J¹ai envie de rappeler qu¹un jour il se risqua à traverser seul sur son rafiot le bassin d¹Arcachon et en fit un bouquin de 200 pages.

J¹ai envie de signaler qu¹il ne pouvait pas voir une machine à écrire sans lui enfiler une feuille et taper au débotté un conte, une petite nouvelle,
une short story. On sait qu¹il en a publié plus de mille.

J¹ai envie de me souvenir de ces samedis matin dans la boutique du Terrain Vague, rue de Verneuil, où il venait récupérer discrètement, sur ses droits
d¹auteur, le billet de 100 francs que Losfeld sortait de son tiroir en lui demandant de pas le dire à Pierrette sa comptable d¹épouse.

 J¹ai envie d¹avouer ma jalousie devant ses succès féminins, car ce petit bonhomme, qui ne restait pas en place et que la calvitie guettait, était expert en l¹art de la séduction. Je le revois dans les bistrots où nous donnions rendez-vous, d¹abord le Flore, puis le Select, je le revois cavalant d¹une table à l¹autre, saluer les dames qu¹il connaissait, et dire au passage à une inconnue qu¹elle avait un beau visage, les beaux visages pullulent dans ces sortes d¹endroits. Dire à une femme qu¹elle a un beau visage est autrement subtil que de lui dire qu¹elle est belle. Le langage au service de la séduction.

J¹ai envie de parler de Dorothée. De Dorothée, si belle et née dans une prison nazie, qui fut la seule maîtresse qui compta dans vie d¹homme par ailleurs marié. De Dorothée, qui l¹aima follement, lui pardonna tout, ne le quitta jamais et passa tous ses étés, superbe sirène, allongée nue sur son dériveur au large des plages de Trouville avant de le rendre à sa femme et de regagner sa tente au camping des Oiseaux.

J¹ai envie de battre ma coulpe à propos de « L¹Anonyme » son roman à la gloire de Marlon Brando, qu¹il admirait entre tous au point de le transformer en une manière de Sternberg roulant Solex et naviguant sur dériveur. Je n¹avais pas aimé le livre et, avouons-le, par pure perversité, je lui avais proposé d¹en dire ce que j¹en pensais dans un hebdo qui comptait où j¹avais mes petites et mes grandes entrées. Le malheureux accepta. Il s¹en releva mal mais ne m¹en voulut jamais. Tel était le Sternberg que j¹aimais.

J¹ai envie de rappeler son combat pour le dessin d¹humour, du vrai, celui qui se passe de légende et s¹affirme par sa seule invention graphique. Topor, Gourmelin, Ylipe, Mose, et quelques autres, lui doivent une partie de leur renommée. Son dieu : Chaval le seul à ses yeux qui sut jouer de légendes en décalage afin de magnifier le dessin.

J¹ai envie de me souvenir de son fabuleux égocentrisme qui est la marque des écrivains authentiques. Il ne pouvait parler que de lui, le plus souvent en s¹auto-dénigrant. Un mélange de génie incompris, de délire inspiré et de roublardise maladroite.

J¹ai envie de le féliciter pour avoir sut d¹arrêter whisky et cigarettes quand « France soir » cessa de lui payer des chroniques hebdomadaires imposées par Pierre Lazareff qui lui rapportaient gros.

J¹ai envie de me souvenir que vers la trentaine nous parlions de nos essais littéraires ; que vers la quarantaine nous ressassions l¹incompétence nos éditeurs et la connerie de nos (rares) critiques ; que passés nos cinquante ans nous rabâchions les succès et les échecs féminins de nos démons de midi
; que la soixantième venue nous pleurions sur notre difficulté à comprendre la mentalité et le comportement de nos petits-enfants ; que nos « septantes
» années passées seules nos maladies et leurs séquelles nous tracassaient

J¹ai envie de dire qu¹on en fait plus des types comme lui. Des ludions qui flottent entre deux eaux et pour qui la réussite ne relève ni de la mode ni
de la rentabilité.

J¹ai surtout envie de pleurer à mon tour en me rappelant qu¹à notre dernier coup de téléphone ‹ il ne sortait plus depuis deux ans et sa porte était
interdite ‹ quand il me dit son soulagement et son bonheur de m¹entendre alors qu¹on lui avait dit que j¹étais décédé et qu¹il en avait pleuré
pendant trois jours.

Merci Sternberg, merci vieux schlemil, merci pour ces larmes. Ce fut un merveilleux cadeau. On réglera ça plus tard, au paradis des auteurs mal-aimés."
                  
Walter Lewino
"Abordé en surfant , j'y ai retrouvé avec emotion et joie un vieil ami perdu de vue et perdu pour toujours.
J'ai bien connu Jacques à l'époque ou il naviguait au large de Trouville. Nous étions souvent les deux seuls sur l'eau quelque soit la Météo et je gardais toujours un œil sur lui inquiet par la vetusteté de son Sunfish et son âge pour pouvoir ramener cette embarcation sur le sable par tous temps.
Je me souviens que sur ce bateau monoplace il était par beau temps souvent accompagné de superbes créatures et que nous le jalousions. Je me souviens aussi d'un de ses bon mots après une dure navigation " la Normandie, le pays ou la terre, la mer et le ciel de confondent". .. En l'evoquant de nombreux autres souvenirs me reviennent, nous nous sommes souvent retrouvé au Flore." Max
"Je viens d’entendre une nouvelle de Jacques Sternberg sur France culture et en cherchant à en savoir plus sur cet auteur, je découvre votre site.
Je crois que ce site va bien me plaire, (vu le ton employé par l’employé !). Première surprise, je tombe sur un résumé du roman “Le navigateur”, qui fait référence à une navigation entre les lettres de l’océan atlantique, inscrites sur les cartes! Très admiratif de l’œuvre de Fred le dessinateur de Philémon, je suis quelque peu stupéfait ! Voilà, c’était juste un message pour vous dire que quelqu’un vient de découvrir Jacques Sternberg!" Isaac

"Comment parler de Jacques Sternberg sans parler de moi ? 


J’étais une petite jeune fille très sage, j’étudiais l’anglais à l’université de Nanterre. J’avais des goûts très classiques et, adorant la littérature, je m’employais à lire Balzac, Tolstoï, Julien Green, Gide, Bernanos, Cocteau... et les classiques anglais bien sûr. En fait, je ne connaissais rien à rien, mais étais très curieuse.

Un jour, un peu par hasard, je me suis trouvée plongée dans le “Magazine littéraire”, et, à la première page, Monsieur Sternberg me tendait les bras. Je me suis abonnée. Et ma vie littéraire a changé... un peu, beaucoup ?... Je me suis aperçu que la littérature n’était pas seulement une affaire de vieux messieurs sérieux comme des papes, mais aussi une affaire d’insolence, de choses nouvelles et surprenantes (pour moi) comme la science-fiction, l’érotisme, les délires verbaux...

Jacques Sternberg secouait le cocotier et me parlait d’Henry Miller, de Cami... et de lui-même. Il m’indignait et m’amusait. Il me réveillait et me faisait rire. Il attaquait des gens que, jusqu’à présent, j’avais jugé inattaquables. J’étais vibrante de respect, il était vibrant de révolte. C’était un anarchiste et je m’apercevais que, très loin au fond de moi, quelque part bien caché, il y avait aussi ce désir de bouger, de me moquer, de mettre les belles phrases sens dessus dessous, de les tordre, et d’en faire quelque chose de plus marrant et de plus cruel (car j’écrivais, évidemment). Sternberg m’a donné envie de lire
Henry Miller, entre autres, ce qui allait me procurer un sacré choc. Et puis je l’ai lu, lui, et j’ai appris beaucoup dans sa façon de voir le monde, dans sa façon de parler de l’amour...

Alors, je lui ai écrit. Je lui ai envoyé des poèmes, si je me souviens bien, ce qui était stupide car Sternberg n’était pas attiré par la poésie. Mais il a été touché par ma jeunesse, je suppose, et il m’a donné rendez-vous à Paris (j’étais banlieusarde). Je suis arrivée avec Lettre ouverte aux Terriens sous le bras au café de Flore où je mettais les pieds pour la première fois de ma vie. Je l’ai vu arriver sur son Solex, ce qui ne me surprenait guère puisque dans ma famille on utilisait encore les Solex. Il était simple, bavard, sérieux..., timide (ou était-ce le reflet de ma propre timidité ?). Nous avons parlé de poésie (il m’a redit que la poésie ne le branchait pas trop) et du livre de Guy Sitbon qui venait de paraître : Yves et Véronique, sorte d’utopie post-soixante-huitarde sur les communautés où règneraient la liberté sexuelle et le partage des partenaires. Cela m’avait effarée et Sternberg s’est chargé de me rassurer. Il a vu que j’étais une innocente étudiante et une apprentie écrivain à qui il a expliqué à quel point il était difficile, sinon impossible, de trouver un éditeur. Il m’a parlé de son fils qui avait trouvé avec peine un emploi. La vie quotidienne, déjà, n’était pas simple. J’ai bu ses critiques sarcastiques des très jeunes écrivains (Didier Decoin, François-Marie Banier et consorts), qu’il appelait “les minets de la plume” avec délices. Cela me vengeait un peu de mes déboires personnels. Sternberg m’a dédicacé mon précieux livre que j’avais fait lire à tout le monde autour de moi.

Je n’ai jamais revu Monsieur Sternberg, si ce n’est une fois de loin dans un cinéma avec une jolie fille, et une fois, alors que j’avais commencé à travailler, à travers la vitre d’un café, entouré d’une bande de jeunes gens.

Je ne suis jamais devenue écrivain et je n’ai appris la mort de Monsieur Sternberg que récemment en pianotant sur Internet. Je me souviens, comme dirait Perec (que Jacques Sternberg appréciait sûrement), du Café de Flore et des Solex, je me souviens des quais où j’ai trouvé l’écrivain Cami, je me souviens des beaux visages des écrivains de cinquante ans de ces années-là, je me souviens de Trouville que j’aimais sans savoir que Sternberg y avait ses habitudes, je me souviens des passages érotiques de ses livres, je me souviens de la texture des pages des livres de chez Eric Losfeld, je me souviens de
mes joies littéraires et de toutes mes découvertes de jeune fille, je me souviens de mon bonheur lorsque je recevais le “Magazine littéraire” où je plongeais immédiatement dans la première page, MA page, je me souviens de mes cris de plaisirs en lisant Lettre ouverte aux Terriens, je me souviens de mes phrases que j’ai commencé à chambouler...

Grâce à Sternberg, la jeune fille que je fus apprit à ne pas aimer “le pire dans l’ignorance absolue de ce qu’il y a de marginal, de plus excitant pour l’esprit, car tout germe d’humour, de charnel, de délire est banni des programmes scolaires...” (Lettre ouverte aux Terriens, p 45). J’eus un peu vingt ans d’une autre façon, dans une époque maudite car, comme chacun le sait, rien n’est pire que d’avoir vingt ans.

Jacques Sternberg n’est plus, mais il est encore dans toutes nos mémoires. J’ai parlé de lui il y a quelques jours avec des amis (une jeune prof de français et Roland Duval, critique de cinéma et journaliste). Si l’on n’a pas parlé de lui à sa mort, son exemple fera encore écrire des jeunes gens. Mais je suppose que Sternberg aurait bien ri si l’on avait parlé de lui comme “exemple”. Alors, je me contente de le saluer ici et d’aller rouler mes mots sur les bosses de la vie."  Joëlle Carzon

"J'ai côtoyé JS en 1976 et 1977 à Trouville sur la plage devant le CNTH. Il était aussi givré que lunatique et péremptoire. Il se disait qu'il écrivait, mais des trucs un peu bizarres et somme toute sans grand intérêt. Et puis avec son Solex, ça ne faisait pas très sérieux. Tous les jours, quasiment à heure fixe, il sortait son Zef et naviguait seul. Je faisais de la planche à voile et on labourait le même champ, mais il barrait dans un univers parallèle et n'avait pas un regard pour ceux qu'il croisait sur l'eau. Je m'interrogeais sur ce bonhomme curieux qui ne donnait pas l'air d'être particulièrement heureux à la barre de son mouille-cul alors qu'il y passait pas mal de temps. Je ne l'ai jamais vu s'éloigner de plus d'un km du CNTH. Il arrivait qu'on l'aide à remonter son bateau sur la cale. Ce qui nous intriguait le plus, c'était qu'il mangeait souvent en terrasse du petit bistrot juste à côté, généralement accompagné d'une jeune et jolie femme qui ne pouvait être sa fille. Mais qu'est-ce qu'elle lui trouvait ? Trente ans plus tard, je m'aperçois que ma fille étudie un texte d'un certain Sternberg. Je le lis, comprends que c'est lui, et me lance aussi sec à la recherche de renseignements et de livres que je trouve et dévore... Le choc...
Et le pire, c'est qu'il ne parle de moi nulle part." Alain
"Une excellente initiative que la vôtre !   Je vous souhaite beaucoup d'internautes visiteurs!Michel
"Comme vous, j'apprends par le Net, mais aujourd'hui seulement la disparition de Jacques Sternberg. J'y pensais en retrouvant une vieille anthologie de l'humour noir où il est cité. Je l'avais rencontré deux ou trois fois dans les années 70 dans des pinces fesses de l'édition et j'en ai gardé un singulier et drôle souvenir. Il disait, je cite approximativement que le bon sens était avec les fesses la chose la mieux partagée du monde. Il disait aussi, je cite toujours toujours approximativement, qu'il avait deux handicaps pour l'édition française: être belge et être juif. Il est à peu près le seul bon souvenir que j'ai conservé de ces coktails de journalistes, d'auteurs et d'éditeurs." Alain

"Bonjour, j'ai découvert votre page en cherchant des informations sur Jacques Sternberg, après avoir lu ces trois citations : 

« C’est en effet du travail que suinte tout ce qu’il y a de plus sordide, de plus visqueux sur cette planète que l’on peut en fin de compte considérer comme une énorme colonie pénitentiaire » . 


« Le labeur quotidien vaut toutes les écoles militaires. Il apprend la discipline, l’obéissance, la platitude, le sens du devoir. Il forme des hommes résignés à tout, élimés, malléables, routiniers, mécanisés, résistants, à peine pensants. Donc de futurs soldats admirablement conditionnés ».

 

« Le travail, c’est en effet la santé. Mais celle de ceux qui vivent du travail des autres. ».J'en ai lu d'autres sur votre site qui m'ont plu aussi. Pourriez-vous m'indiquer de quel livre sont extraites ces trois citations pleine de bon sens et de vérité!"  Croquignol

"En fait je n'ai pas énormément regardé votre site. Ce que vous m'aviez écrit l'autre jour, et puis aussi le fait qu'un homme qui s'occupe de
Sternberg ne peut surement pas être méchant ni ambitieux, tout çà suffit largement pour me convaincre. Figurez-vous que dans une caisse de mon métier vermoulu de libraire - de plus en plus je vends des tableaux - j'ai retrouvé ce matin sans les avoir cherchés deux opuscules qui devraient vous enchanter. Je veux vous offrir, c'est chez vous qu'ils se sentiront bien, ou bien vous saurez à qui les transmettre, les n° 5 et 7 du "Petit silence illustré"
des choses roneotypées, des reliques où il est dit que le "PSI passera bientôt du silence au mutisme", des traductions de Francine, c'est plein de choses réjouissantes et pour mes yeux mélancoliques." Alain
"J'apprends aujourd'hui par mégarde et très en retard que le feu Sternberg s'est éteint. Paix à son âme, longue vie à ses écrits." Christophe
"C'est par le plus grand des hasards et avec surprise que j'ai découvert, il y a quelque temps déjà, votre site internet consacré à Jacques Sternberg.
Il se devait d'exister. C'est fait, et bien fait. Je ne peux que vous en remercier (...) il semble quasi impossible de trouver ses livres en librairie sauf ceux parus récemment chez Folio. Il me semblerait effectivement important que les plus jeunes puisssent "tirer des bords" dans son oeuvre et certainement venir grossir les rangs de son "fan club.Daniel
"Bravo pour votre site consacré à Jacques Sternberg ! Il reste mon écrivain francophone préféré. J'ai découvert son oeuvre il y a trente ans et suis devenu sternbergophile. J'ai eu la chance de le rencontrer en 2000 et il m'a offert une préface pour mon recueil de contes brefs Élagage max." Éric Dejaeger 
"Haha. bien dans le ton de notre autre "grand Jacques" votre site ! il est vrai que le voile qui recouvre aujourd'hui cette oeuvre est tel que c'est nous qui avons du ajouter une allusion au Solex sur Wikipedia dont l'article est vraiment indigent ! que ne le complétez-vous ?" JPL
"Sternberg-Topor Il y des gens qu'on aime...pourquoi? Ceux de ce jour, je les ai "rencontrés" il y a bien longtemps... Comment? une interview? un film? un livre? une photo? Je ne sais plus. Avec quelques autres, "ils" font partie de ma famille. Quand en 2004, La Maison du Livre de Saint-Gilles annonça la  présence de Jacques Sternberg, je me suis réjouie de le voir, de l'entendre, qui sait de lui parler. Ce soir-là, il n'est pas venu. Quand à Roland Topor, je ressens encore le choc stupéfiant, mon hébétude quand j'appris par la radio qu'il venait de mourir. Etait-ce possible! Je le cherche encore. C'est pour ça, que ce jour, avec eux, grâce à eux, nous allons rire, sourire, grincer. Je crois que cela leur plairait." Denise
"J'ai rarement vu un site personnel aussi bien fait, et qui plus est, le vôtre (que j'ai entièrement consulté) porte sur l'un des auteurs que j'ai le plus lu. Aussi, à tout hasard, je me permets d'attirer votre attention sur un essai que j'ai écrit sur Jacques Sternberg : Jacques Sternberg une Esthetique de la Terreur." Sandrine Leturcq 

Laissons le dernier hommage à son fils maintenant...

Mais où est donc passé Jacques Sternberg?


"Premier anniversaire de la disparition de mon père, oui. Plus vite arrivé que je ne le pensais, tout comme sa maladie qui, manifestement très pressée  d’en finir, lui a donné le coup de grâce à l’aube du 11 octobre 2006, une semaine après son hospitalisation à l’Hôtel Dieu de Paris. Depuis, je me pose toujours la même question: « Mais où se trouve-t-il donc ? », sans pouvoir vraiment accepter l’idée que mon père aura tout simplement été victime du plus banal mais aussi du plus magique des tours de prestidigitation que la nature nous réserve d’office -cette culbute dans un néant inconcevable à notre entendement. J’ai des réponses, bien sûr. Au pied du poirier de notre jardin, ce tas de cendres sous terre. Ses cendres à lui que j’ai ramenées du Père-Lachaise, serrant l’urne contre mon ventre, ce qui m’aura été bien plus douloureux que de revoir mon père soudain maquillé en cadavre (un rôle qui lui

allait tellement mal, un contre-emploi !) et lui toucher le front, doigt hésitant, réticent même -mon père ôté de ce monde, prétendait-on, mais que je ne voulais pas reconnaître comme tel.


Au pied du poirier où, entouré de pierres du littoral normand et des Cévennes, trône un petit bloc de marbre  évoquant à s’y méprendre une stèle funéraire, les restes de mon père mélangés à la terre ont donné vie, cet été, à une inhabituelle profusion de valérianes. Mon père, d’une certaine manière, s’est donc perpétué dans des valérianes. Les valérianes Sternberg. Pas étonnant que cet homme, qui  n’aimait pas les fleurs mais adorait les félins, ait finalement choisi de servir de terreau à une herbe à chats. 


En revanche, il n’aurait sans doute pas apprécié -malgré toute l’affection qu’il me portait- de devoir échouer, à l’instar de son fils, dans une banlieue à seulement vingt kilomètres de la capitale, qui néanmoins lui paraissait aussi lointaine et arriérée qu’une contrée du tiers-monde, au point de demander à ma compagne, d’un ton inquiet : « Mais" quand vous avez besoin de pain, vous devez aller à Paris ? ». Qu’importe, il n’a plus son mot à dire, et je suis heureux de l’avoir chez moi, à demeure. Je peux lui parler quand je veux. J’aurais détesté le savoir enfermé dans je ne sais quel sinistre cimetière, tout seul dans sa tombe, à pourrir lentement sous terre . Je me serais senti coupable de l’avoir abandonné.


Je pourrais aussi songer, et je n’y manque pas, qu’il a simplement disparu dans un pays reculé d’ici-bas, car étant strictement athée, je me refuse à croire une seule seconde qu’il séjourne désormais quelque part dans les cieux, dans la béatitude d’un quelconque paradis. Il pensait pareil avec son propre père gazé dès l’arrivée au camp de Majdanek en mars 1943, se racontant qu’il avait survécu à la Shoah et suivi l’Armée rouge pour aller s’installer en Russie et y refaire sa vie en compagnie d’une jolie petite russe aimante. Mais, dans ce cas, n’ayant pas une seule fois donné de ses nouvelles ni à moi ni

à sa femme depuis un an, il mériterait vraiment que je l’oublie. Et, pour être honnête, c’était bien ce que je souhaitais pendant les premiers mois, refouler son souvenir,étouffer tout germe de souffrance, ne plus même prononcer, en présence de ma mère, son tendre diminutif issu de son premier prénom (Nathan), mais dire cérémonieusement : « mon père ». Comme pour le punir de nous avoir abandonnés en fuguant à l’autre bout du monde, ou pourquoi pas au fin fond d’une galaxie, il avait certes le choix avec toutes les planètes qu’il avait répertoriées dans son œuvre…


Certes, plus concrètement, il se trouve en moi-même, clos dans ma mémoire qui l’enferme dans le ressassement de son passé, le plus sinistre, ces six derniers mois de sa vie où sa maladie l’aura littéralement dévoré, mais aussi dans certains rêves encore trop rares où, au contraire, je lui prête une nouvelle vie, des rêves plutôt anodins où nous conversons paisiblement - c’est bien lui, rajeuni de quinze ans-, revenus tous deux au temps où nous déjeunions chaque semaine en tête-à-tête dans un restaurant chinois de Montparnasse.


Mais, bien plus sûrement, il survit dans l’œuvre qu’il a laissée. Mon père, dès qu’il entendait le mot « postérité », tirait une balle de revolver comme on dit, au sens figuré car il haïssait les armes à feu, nonobstant sa passion des films de guerre. Il répugnait tellement à penser sa propre disparition… Mais quelle chance pour les survivants ! C’est ainsi que les négociations portant sur la réédition de quelques-uns de ses livres m’ont conduit tout naturellement à enfin relire sa littérature. Aux serrements de cœur ont rapidement succédé l’éblouissement devant la puissance de son imagination aussi débridée et hypertrophiée qu‘insolente et percutante, mais aussi, une sorte d’apaisement, voire de contentement, tout bonnement parce que je le retrouve et même le redécouvre au fil des pages, omniprésent et en majesté, au meilleur de sa forme et de ce qu’il a pu donner -lui dont l’absence me taraude par sa cruelle et incompréhensible absurdité. Si bien qu’il me faut maintenant oser le rencontrer partout où je pourrais avoir l’illusion de le retrouver vivant.


J’ai également regardé une petite vidéo sur le Net ; il apparaissait en compagnie de Topor, d’abord aux environs du café de Flore, tenant son célèbre Solex par le guidon, puis au Flore même, et j’ai été attendri de le revoir parler, avec ses mimiques, ses multiples moues, son rire et ses grands gestes. Et son beau regard surtout. Plus proche de lui enfin, mais hélas, ce ne sont que de trompeuses retrouvailles : je le regarde à travers une vitrine sans jamais pouvoir le rejoindre et lui adresser la parole. Il ne me voit pas. A croire que c’est moi le mort. Quelle terrible frustration. Un manque de lui qui ne

fait que s’aviver avec le temps.


l m’a quitté, il nous a quittés, au sens fort du mot, c’est sûr. A jamais. « Quel sale tour il nous a joué ! » comme dit ma mère."


Jean-Pol Sternberg - 2007